There's no place like Home

Steve insiste, en venant s'accroupir face à moi, il insiste et persiste, cherchant à me convaincre là où je ne veux même pas avoir ce genre de discussions avec lui. Il veut maintenir une illusion de dialogue et tenter de forcer une conversation que je me refuse à avoir avec lui. Il essaye de se convaincre qu'il a encore une chance avec moi, qu'il peut s'engouffrer par la petite interstice qu'il pense déceler en moi. Je suis sûr qu'il est persuadé que c'est le moment pour lui de gagner des points et se rapprocher de moi… Mais il attend quoi ? Il espère quoi ? Que je me jette dans ses bras ? Que je sanglote à nouveau, en lui disant que je n'ai pas besoin de grand chose ? Juste d'un peu d'amour et d'attention ? Qu'il faut simplement consolider les fêlures que tout le monde à jusqu'ici laissés à vif ? J'en sais rien. J'en sais foutrement rien. Et je ne veux pas savoir. Je veux simplement qu'il baisse les bras, qu'il arrête d'essayer et qu'il admette que je ne serais que de passage, que jamais je ne m'installerais et que je ne serais jamais plus qu'une ombre qui traverse sa vie. Je ne veux pas de ses mensonges, de ses tentatives pour me faire croire que je suis important ou unique à ses yeux. Parce que je suis loin d'être con. Je sais et je me doute du nombre de gamins qu'il a déjà dû voir défiler dans cette chambre et à qui il a récité le discours qu'il est en train de me servir.  Il a déjà dû dire à bien des gosses qu'ils étaient spéciaux et qu'eus aussi avaient le droit qu'on les aime, qu'on les protège et qu'on les couvre des attentions qu'ils auraient déjà dû recevoir de la part de leurs parents. Il a déjà dû raconter ces conneries à des gamins plus jeunes, qui eux n'avaient besoin que de ça pour outrepasser leurs blessures et entamer le long processus de guérison. Eux qui voulaient encore voir dans les ténèbres une étincelle, eux qui étaient des combattants qui ne voulaient pas encore sombrer… Des résistants, des guerriers et des braves. Tout ce que je ne suis plus depuis bien longtemps. À une époque j'ai été brave, j'ai été furieux, rebelle et même envieux de ce qui avaient une existence relativement normale. J'ai été de ceux qui refusaient de courber l'échine et d'accepter que tout été foutu. J'ai été le genre à m'accrocher, à vouloir y croire à et me rassurer le soir en me disant que tout allait s'arranger. J'ai été comme ça, avant que les fêlures ne soient un trop gros fardeau pour les deux familles qui m'ont accueillit avant Steve. J'étais de ceux qui pensaient qu'une fois au fond, on ne pouvait que remonter, avant de comprendre qu'une fois dans les abysses, on ne remonte jamais à la surface. J'ai rien d'un gamin exceptionnel à qui il faut tendre la main. J'suis pas grand chose, voir même rien. Dans la course effrénée de la vie et de l'univers, je ne suis qu'un grain de sable éphémère. Une petite chose qui se fait balloter par des forces qu'il ne comprend pas et qui est voué à disparaitre. J'suis insignifiant et en rien plus important que les autres. Je mérite pas ce que je ne désire pas. D'autres gamins, plus jeunes que moi, tueraient pour être à ma place et donneraient tout pour avoir un gars comme Steve pour les chouchouter. Eux voudraient de ses mots, de ses attentions et   de son affection. Eux voudraient rejoindre sa super équipe avec Clint. Eux lui ferait confiance.

Mais moi ? Moi je ne veux pas m'attacher. Je ne veux pas m'ouvrir et encore moins montrer mes blessures à un autre. Moi je veux qu'on accepte mon état et qu'on fasse avec le peu de temps qu'il me reste. Je veux qu'on me laisse dans l'ombre, qu'on m'oublie dans un coin et qu'on me laisse être une ombre. Assis sur le lit, recroquevillé sur moi-même, je retiens un autre sanglot tandis que mes ongles s'enfoncent dans mes paumes. Je n'en veux pas. Je ne veux pas. Je veux que la journée prenne fin et que tout s'arrête enfin. Je veux m'endormir et ne pas me réveiller. Je veux que Steve quitte ma chambre pour que je puisse pleurer. Je prends conscience de l'attente que je crée chez lui et du fait qu'il espère de moi une réponse. Il veut que je réagisse, que je fasse quelque chose, n'importe quoi tant que j'émets un son ou que j'ai un geste pour lui. Inconsciemment, il veut vérifier que je suis encore vivant et capable d'exprimer quelque chose. Il veut voir en moi une réaction, une émotion qui lui permettrait d'insister et d'engager avec moi un autre échange qui pourrait lui permettre de nous rapprocher. Mais je ne fais rien. Je ne dis rien. Pendant de longues minutes, rien ne traverse mes lèvres. Je ne suis qu'une vague au loin, une once d'agitation dans l'océan, quelque chose qu'il ne peut pas atteindre et qu'il ne peut qu'observer au lointain. Puis j'ai un murmure, un semblant de réponse.

"Le travail d'équipe c'est pas pour moi."

Et c'est tout. J'essaye pas de le convaincre que je suis pas fracassé ou quoi, j'essaye pas de lui faire entendre raison, préférant me contenter d'un simple mur que je dresse entre nous. Je me recroqueville un peu plus sur moi-même et le souffle court, je peine à ne pas retenir une autre larme qui dévale rapidement la courbe de ma joue. C'est trop tard. Tout ne peut pas être réparé, et très certainement pas moi. C'est plié. C'est comme ça. Je suis bien trop vieux maintenant pour être réparé. Je suis cette tasse sur l'étagère, celle qu'on cache derrière les autres, celle qu'on oublie pour ne pas avoir à se dire qu'à cause de ses défauts et de cette fois où on l'a fait tombé, elle n'est plus qu'un tas de porcelaine encombrant. Je suis celle qui prend la poussière et qui ne manquera à personne. Je suis ce numéro de dossier que l'on se refile en se disant que quelqu'un fera bien quelque chose de ce cas désespéré. J'suis rien à vrai dire. J'suis juste James Barnes, le gamin dont personne ne veut.

J'ai envie de rien et surtouts pas d'essayer pour lui faire plaisir. Les lèvres tremblantes et les yeux rouges, j'ai envie de lui hurler de se casser alors qu'il tente d'insister, me disant que faire un effort pourrait me surprendre avant d'étrangement se permettre un trait d'humour qui m'arrache une larme solitaire, qui au lieu de prendre le temps de rouler le long de ma joue creuse, préfère directement s'écraser sur mon pantalon. Je me retiens de renifler de peur de lui donner une raison supplémentaire de rester et de s'inquiéter, me contentant à la place de me recroqueviller sous les couvertures quand il s'approche pour simplement déposer au pied de mon lit ce dinosaure dont je ne veux toujours pas. D'un regard mauvais j'observe la peluche, ignorant ainsi superbement Steve, qui enfin abandonne pour ce soir et se retire, non sans au passage m'annoncer que demain je devrais l'aider. La porte se referme, et Clint allongé contre moi, je passe mon bras autour de son flanc, poussant un long soupir qui lentement se mue en un début de sanglot. Inquiet je sens l'animal couiner et tenter de lécher mes joues alors que soucieux d'étouffer tout son qui pourrait alarmer Steve, j'enfouie mon visage dans sa fourrure, en geignant tout ce que je ne pouvais exprimer en présence de cet homme qui s'est mis en tête de sauver la carcasse pourrissante que je suis.

"Il comprend rien… Je le déteste… Et il voit rien…"

Je renifle bruyamment et me recroqueville un peu plus, continuant à sangloter contre le pauvre labrador, qui ne sachant pas quoi faire pour me consoler et me calmer, se contente de faiblement couiner en léchant ma peau, comme si il espérait calmer mes douloureux sanglots de quelques attentions qui avec quelqu'un de plus jeune et de moins fracassé auraient marché. La mâchoire verrouillée et le souffle court, je sens ma cage thoracique se comprimer et menacer de rompre face à cette douleur que je tente de ravaler en vain.

"Je m'en fous de l'école, des écuries ou de quoi que ce soit… Je…. Je veux juste…. Je veux…."

Je bredouille et bafouille, le nez humide, les yeux rouges et les lèvres désormais luisante de la salive que je n'avale plus, car incapable de faire autre chose que de sangloter.

"Je veux…"

Je veux qu'on m'oublie, qu'on soit pour une fois franc avec moi et qu'on arrête de m'offrir des regards pleins de pitié et de tristesse. Je veux qu'on cesse de me tendre la main et prétendre que malgré mes fêlures, j'ai encore une certaine importance ou utilité… Je veux qu'on arrête de me mentir, qu'on cesse de me voir comme une croisade qu'il faut mener ou un enfant paumé qu'il faut tirer de sa propre merde. Je ne veux pas prendre la place d'un gamin qui lui pourrait être heureux ici et trouver ça cool d'aider Steve avec les animaux. Je ne veux pas la place d'un enfant qui mérite d'être heureux et qui pourrait encore avoir envie de vivre et de devenir un adulte fonctionnel. Je ne veux pas être cette tasse brisée que l'on privilégie au détriment de celles qui sont en bon état. Je veux qu'on me lâche, je veux qu'on me laisse me briser au sol et qu'on piétine ce qu'il reste de moi jusqu'à ce que mon existence ne se résume plus qu'à des souvenirs que l'on oublie vites et des biens matériel que l'on détruit sans regret et sans une once de peine dans les prunelles. Je veux n'être plus que ça… Un numéro que l'on raye, une existence que l'on oublie, un erreur dans l'univers. Un vide que l'on comble aisément. Mes ongles s'enfoncent presque douloureusement dans la fourrure de Clint tandis que celui-ci me fuit, descendant du lit pour mieux abandonner la pauvre chose agonisante que je suis. Un autre sanglot m'échappe et alors que je recroqueville sous les draps, je pleure ainsi jusqu'à m'écrouler de fatigue, sombrant alors dans un sommeil qui loin d'être calme, est entrecoupé de cauchemars de mon passé, de sombres souvenirs qui ravivent les plaies pourtant cicatrisées de mon être. Dans les limbes de mon esprit, voilà que j'entends à nouveau mon père hurler et lever sa main pour mieux fracasser ses phalanges contre ma mâchoire juvénile. J'entends ses insultes et je sens sur ma carcasse coups et haleine putride qui sent l'alcool et le vieux tabac. Je sens le cuir de sa ceinture mordre ma chair. J'entends ma mère pleurer, sangloter. Je crois sentir mon coeur battre à mes tempes et alors qu'il pose son pied sur mon épaule, je m'éveille à l'instant même où celle-ci aurait dû se briser. En un sursaut je reviens à moi, surpris autant par la violence de mes songes que par Steve qui dans ma chambre se glisse, m'agressant de bon matin en venant déposer sur la chaise de mon bureau, quelques vêtements que je devrais porter durant la journée. Et si j'entrouvre les lèvres pour protester, je me retiens finalement, préférant à la place n'hocher que très faiblement de la tête.

Une fois la porte fermée et donc enfin seul, je m'autorise un long soupir et un regard vers Clint, qui finalement a passé sa nuit au pied de mon lit avec… Je fronce les sourcils en remarquant non loin de moi la ridicule peluche dinosaure de Steve. Du bout des doigts je l'attrape le petit tricératops avec son noeud rose et me retrouve à plisser le nez de dégoût quand je le sens être humide de ce que je suppose être de la bave de chien.

"Eurk… Clint sérieux ! C'est sale ! En plus ça devait être…."

Être à qui ? Moi ? Non. Ça n'était et n'est qu'une tentative stupide de Steve pour tenter de m'amadouer. Ce n'est rien. Et ça ne le sera jamais… Et pourtant, plus j'observe cette petite chose duveteuse, plus je réalise qu'elle n'a pas été mâchonnée par un chien qui s'ennuyait mais plutôt simplement souillée par la salive d'un être qui avec elle a dormi. Lentement je porte au coin de mes lèvres le bout de mes doigts et quand je réalise que je trouve au coin de celles-ci de la bave séchée, je relâche la peluche avec crainte, comme si celle-ci venait de me brûler les mains. D'un bon, presque, je quitte mon lit une fois les draps repoussés et alors que je peste contre le petit dinosaure, j'attrape les vêtements informes de Steve.

"Stupide peluche."

Sans un mot de plus je file à la salle de bain, laissant ainsi à Clint le plaisir de retrouver Steve en bas le temps que je prenne ma douche et enfile ensuite jogging et sweat. Le temps d'une minute peut-être je m'observe dans la glace et si je pense à d'autres gamins qui auraient été amusés ou même heureux de porter les vêtements d'un type aussi cool que Steve, je vois surtout qu'ainsi, j'ai l'air encore plus pathétique qu'avant. Les lèvres pincées, je passe mes doigts sur la vitre et tente, en un geste étrange, d'effacer mon reflet, comme si j'espérais ainsi faire apparaître dans la glace, le visage d'un autre moi qui saurait apprécier à sa juste valeur la bonté naturelle de Steve. Lassé, je finis par abandonner et presque fatigué d'avoir à prétendre que je suis vivant et éveillé, je descends pour rejoindre Steve que je trouve à la cuisine en train de boire son café et de lire le journal. Sans faire un bruit, je me verse un bol de céréales et un verre de jus de fruit, m'installant face à lui pour enfin trouver le courage de lui murmurer quelques mots entre ma première cuillère de corn flakes et la seconde.

"Je sais pas si je peux aider. Je sais rien faire. J'suis pas doué."

Je baisse un peu plus le nez dans mon bol quand il ose me dire avec un sourire que je peux être utile et que je suis sûrement capable de faire quelque chose et si un instant, j'ai envie de le contredire en faisant non de la tête, c'est en silence que je préfère lui expliquer que non, je suis un de ces êtres qui n'ont pour but dans l'existence que d'être les rebuts des autres. Des silhouettes inaptes et inutiles qui ne sont là que pour rassurer le commun des mortels, qui ainsi se sent capable de faire tant de choses. Je suis ça. Cette chose cassée que l'on garde non loin de yeux pour mieux rassurer son coeur quand l'on doute. Je suis tout ça, l'incapacité et l'inutilité. Je n'ai aucun talent et peut importe les efforts que je pourrais fournir, je ne serais jamais bon à quoi que ce soit. Je pourrais travailler deux fois plus dur que les autres, je n'aurais que le quart de ce qu'ils obtiennent. Je ne suis rien, qu'une pauvre merde, une carcasse pourrissante que l'on oublie. Je suis que dalle. Je ne sais rien faire et donc, je ne sers à rien. Pas même à aider Steve à vider le box d'un cheval pour me faire pardonner de ma fuite de l'autre soir. Un soupir glisse d'entre mes lèvres et difficilement, j'avale une autre cuillère de céréales tout en cherchant à imaginer ce que Steve va dire quand il va comprendre qu'il ne peut rien faire de moi. Va-t-il s'énerver et hurler ? Va-t-il me dire que je dois cesser de faire semblant et d'essayer plus fort ? Va-t-il être déçu et me dire qu'il aurait aimé récupérer un autre gamin ? Va-t-il me renvoyer ? Le doute s'installe dans mon esprit et chasse rapidement mon appétit, me faisant abandonner mon bol que j'ai à peine touché. Le coeur désormais au bord des lèvres, je me rabats sur mon jus de fruit que je descends d'une traite pour ensuite attendre que Steve termine de manger pour qu'enfin je sois libérer de cette corvée. Dans un silence quasiment parfait, je l'observe lire son journal pendant que je tente de me rassurer en me répétant que tout ceci est temporaire, que bientôt, je n'aurais plus à me soucier de ça. Rien ne dure et la douleur de devoir agoniser parmi les vivants va prendre fin. Un jour, je serais libre. Un jour, je cesserais de souffrir.

Quand enfin il termine son assiette, je l'aide rapidement à débarrasser la table avant de le suivre jusqu'aux écuries, pas franchement rassuré, car pas à l'aise à l'idée de m'approcher de chevaux. Un peu en retrait, je reste derrière Steve et me rassure en caressant la fourrure de Clint, qui assis, lève un peu le museau vers moi. Inquiet, et quelque peu anxieux, j'observe ainsi Steve relâcher les animaux, qui sans se soucier de moi vont jusqu'à leur pré. Et avant que je n'ai le temps d'être soulagé de ne pas avoir eu à interagir avec l'un d'entre eux, voilà que je dois subir les explications de Steve et que sans un mot, je me retrouve à contempler tout le boulot que je vais devoir faire. J'hésite un instant quand il me tend la fourche, toujours persuadé que je n'arriverais pas à faire tant, mais n'ayant pas la possibilité de refuser, j'attrape celle-ci du bout de mes doigts et évite son regard alors que j'attaque cette tâche ingrate qui me force à donner une but et une utilité à cette carcasse débile qui me sert de corps. Péniblement, je plante les dents de la fourche dans le fumier et grâce à un effort que je ne voulais pas, ou plutôt plus produire, je dépose tout ça dans la brouette. De mes lèvres entrouvertes, je laisse échapper une respiration plus difficile qui sans peine, accompagne plutôt bien les larmes qui viennent humidifier mon regard terne. Comme un gamin, je fuis les prunelles de Steve et me contente d'essuyer mes yeux d'un revers de la main avant de baisser la tête, non par honte, mais par crainte. Je sens mes lèvres trembler et je serre les dents pour ne pas les entendre claquer entre elles. Je ne voulais pas de tout ça. Je ne voulais pas d'une autre chance, d'un autre foyer, d'une autre fois. Je ne voulais pas qu'on s'intéresse de nouveau à moi, je ne voulais pas qu'on tente de faire de moi autre chose qu'une suite de chiffres. Je ne voulais pas qu'on me rende unique et spécial et ce que je voulais à tout prix, c'était éviter ça, l'effort qui fait revenir à la vie mon corps. Je ne voulais pas sentir les battements de mon coeur. Je ne voulais pas sentir cette douleur ténue dans mon bras qui se fait le souvenir d'une action produite. Je ne voulais pas être capable de faire quelque chose et d'avoir à nouveau un impact sur ce monde qui m'entoure. Je souhaitais et voulais rester une ombre, une trace d'être humain qui s'évapore d'un battement de cils. Je voulais que Steve me délaisse, qu'il m'abandonne, qu'il n'essaye pas de me donner de l'importance. J'aurais préféré qu'il ne se soucie pas un instant de ce que je suis et qu'il se contente de simplement profiter de l'argent qu'on lui verse pour s'occuper de moi. Mais non, il devait insister, il devait être là pour moi et essayer de me montrer que je n'ai jamais été seul et que je n'ai pas à l'être. Il devait tenter quelque chose pour moi... Et voilà ce qu'il gagne en ce jour à me punir, mes larmes.

Je renifle et tente de tout ravaler, mais c'est trop tard. Sur mes joues pales roulent de grosses gouttes salées, qui après avoir dévalés les monts et creux de mon visage, s'écrasent lourdement au sol, mouillant de ce fait la terre à nos pieds. Je porte ma main libre à mon visage et tente de lui cacher la douleur qui se peint sur mes traits. Je ne veux pas qu'il voit que tout ça m'affecte, mais c'est trop tard. L'idée même qu'il prenne le temps de me punir pour me prouver qu'il s'inquiète et qu'il veut m'aider à remonter à la surface, à cesser de couler et me faire retrouver ma place parmi les vivants finit de m'achever, m'arrachant ainsi un sanglot que je ne sais retenir.

Il s'inquiète. Il tient à moi et il veut bien faire. Il veut mon bien et moi, je ne le mérite pas. Je ne mérite rien. Absolument rien.

Je ne voulais pas qu'il prenne le temps pour moi, qu'il me punisse, qu'il tente de donner du poids à des actions et des décisions qui ne sont rien de plus que les dernières gesticulations d'un être qui se sait mourant, d'une chose qui ne demande qu'à dépérir et enfin disparaître pour de bon. Je voulais que Steve m'ignore, qu'il me délaisse, qu'il se contente d'être négligeant, pas parce qu'il est quelqu'un de mauvais mais juste parce qu'il quelqu'un de normal, un homme avec des failles qu'il ne peut pas combattre, un être qui ne fait pas exprès de blesser, qui ne réalise pas qu'il peut être maladroit et parfois dans l'erreur. De Steve, je n'attendais pas grand chose, voir même rien. De lui, je n'exigeais pas cette absolution qu'il tente de m'offrir et encore moins cette sensation étrange qui en cet instant me fait verser des sanglots que je m'étais pourtant juré de ne plus verser. De lui je ne demandais qu'une indifférence que le reste du monde aime pourtant tant m'offrir. En réalité, je voulais qu'il soit un mec quelconque, un type qui s'oublie vite parce qu'il ne fait rien, n'est rien et qu'il ne laisse derrière lui qu'une absence qu'on finit par chasser au loin, une plaie qui cicatrise bien vite et ne laisse pas une trace. Je voulais que Steve soit ça. La silhouette de ce faux père que je n'ai jamais eu. La découpe parfaite de cette idée, de ce concept de ce parent qui aurait dû prendre soin de moi au lieu de me briser les os. Je voulais qu'il reste un espoir, un fantasme et non qu'il prenne vie ainsi, en ce jour où comme un gamin, je me retrouve à sangloter bruyamment devant des boxs vides, à trembler quand vers moi il revient pour s'inquiéter à nouveau, pour oser me cracher au visage cette bonté dont je ne veux pas. Je voulais qu'il m'abandonne. Je voulais qu'il me déteste, qu'il me délaisse, qu'il me haïsse pour ne pas être aussi adorable et mignon que les autres enfants. Je voulais qu'il me hurle dessus, qu'il m'oublie, qu'il me laisse crever dans un coin de cette chambre qu'il tente désespérément de faire ce refuge dont je ne veux pas, ce berceau d'une intimité que je n'ai jamais connu, le début d'une promesse d'être enfin chez moi quelque part. Et tout ça, en cet instant ridicule où prisonnier de mon corps, je ne peux que pleurer, me désoler de ressentir à nouveau ce plaisir étrange de faire quelque chose, d'avoir en ce monde un impact et une certaine importance, il m'est impossible de lui crier ça, de vomir à ses pieds ce trop plein d'un tout qui déchire mon être si douloureusement et termine de mutiler le peu de candeur qu'il me restait.

Ainsi, face à lui, la tête basse et les joues baignées de larmes brûlantes, je renifle piteusement et m'étouffe presque avec mes propres sanglots tandis qu'à son contact, à cette main qui vient trouver mon avant-bras mutilé, je me raidis tout d'abord avant de m'accrocher à lui, enfonçant ainsi dans sa peau mes ongles rongés de toute mes forces. En ce geste, il y a tout ce que je ne parviens pas à dire. Il y a les cris, les hurlements, les appels à l'aide, les aveux, les remords, les envies et les reproches. Dans ce geste désespérant et surement pathétique, il y a mes derniers mots. Il y a cette lettre que je ne laisserais pas derrière-moi, ce petit morceau de papier qui dira que je suis désolé, que je n'étais pas assez brave pour continuer d'espérer, pour m'accrocher. Dans cette poigne, y'a aussi l'enfant que je suis plus, celui qui a dû se taire, disparaître, se faire minuscule pour survivre. Ce petit qui ne demande qu'à ce qu'on le prenne dans ses bras, qu'on lui donne ce que les autres ont eu, à savoir cette chance de réaliser qu'on peut être aimé et choyé. Il y a tout ça dans ma main tremblante, dans mes phalanges blanchies. Il y a autant un cri et un refus. L'envie de lui dire de ne jamais plus me lâcher et celle de hurler que c'est trop tard, qu'il peut plus rien faire pour moi. Mais tout ce que j'en retire, c'est un bredouillement difficile, un bafouillage un peu triste qui devient une plainte que je ne pensais jamais formuler à voix haute.

"Pour... Pourquoi tu me fais ça ?"

A nouveau, je renifle et enfin, je trouve la force de relever la tête et d'ainsi cesser de fixer le sol pour à la place croiser le regard de Steve.

"Pourquoi tu fais attention à moi ? Pourquoi t'essayes ?"

En un mouvement de recul, je retire ma main de son bras pour mieux venir essuyer mon visage du revers de la manche de ce pull trop grand dans lequel je nage tant.

"Pourquoi tu fais pas comme les autres ? Pourquoi tu me délaisses pas ? Hein ? Hein ?!"

Sans m'en rendre compte, les sanglots se font des cris, les larmes deviennent toute la colère qui en moi rongeait jusque-là mon être, qui se faisait la bête qui dans les recoins de mes veines, me soufflait que ce n'était pas juste, que je ne méritais pas tout ça, que je devrais fracasser tout ce qui me passe sous la main afin d'exprimer ma déception de constater qu'après les coups, les caresses et l'amour ne sont jamais venus. Qu'après la douleur, il n'y a rien eu de plus qu'un grand blanc, qu'un vide qui a fini par se faire aussi corrosif qu'un acide qui aurait été versé sur mes plaies à vifs. Cette colère, cette rage, elle vient jusque dans mes mots et pour la première fois, elle s'exprime avec une violence qui me fait presque tourner la tête.

"Pourquoi tu insistes ?! Pourquoi tu me laisses pas tout seul ?! Pourquoi tu n'appelles pas Maria pour dire que tu veux un autre enfant, parce que moi j'suis trop compliqué ?! Pourquoi tu t'acharnes ?! Pourquoi tu tiens tant à me prouver que tu vas être décevant toi aussi ?!"

Je serre les poings, retenant mon envie de le repousser et de lui faire mal, juste pour qu'il sente, ou ressente, ce que moi j'éprouve en cet instant précis.

"Pourquoi ?!"